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Comme nous le mentionnions dans un billet précédent, le monde municipal est devenu, au fil des ans, un acteur de premier plan en matière de protection de l’environnement. Cette tendance permet aux communautés locales de se saisir plus directement des enjeux environnementaux et d’aménager leurs milieux de vie d’une manière adaptée à leurs besoins. Or, cela n’est pas sans conséquence pour les entreprises.
D’abord, de nombreuses entreprises exercent des activités dans plusieurs municipalités. Pour celles-ci, la multiplicité des diverses réglementations municipales engendre, dans certains cas, une grande complexité en matière de conformité environnementale. Les investisseurs qui cherchent à s’établir ou à injecter des capitaux au Québec, pour leur part, doivent bien comprendre les distinctions entre les divers cadres réglementaires applicables d’une municipalité à l’autre, sans compter la réglementation provinciale et celle fédérale qui doivent aussi être examinées.
Bref, les entreprises doivent naviguer à travers un paysage réglementaire morcelé et évolutif, particulièrement en matière environnementale.
Cohérence des corpus législatif et réglementaires
Heureusement, il existe des outils pour assurer une certaine cohérence entre la réglementation municipale et provinciale. D’abord, l’article 3 de la Loi sur les compétences municipales (LCM) prévoit qu’un règlement municipal « inconciliable » avec une loi ou un règlement provincial est inopérant. Comme le souligne la Cour supérieure : « l’inopérabilité découle uniquement d’un conflit entre la norme législative ou réglementaire provinciale et la norme réglementaire municipale ».
L’article 118.3.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE), pour sa part, est formulé dans un langage plus large que celui de l’article 3 de la LCM. En effet, il prévoit qu’un règlement municipal « portant sur le même objet » qu’un règlement adopté en vertu de la LQE est inopérant à moins que le règlement municipal ne soit approuvé par le Ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (Ministre), et ce, peu importe que le règlement municipal soit plus ou moins sévère que le règlement adopté en vertu de la LQE.
Par exemple, dans une décision récente de la Cour d’appel, il a été déterminé que certaines dispositions d’un règlement municipal portant sur la vidange des fosses septiques sont inopérantes puisqu’elles portent sur le même objet que le Règlement sur l’évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées, soit celui de « réglementer l’évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées notamment au moyen de fosses septiques ».
Ainsi, que ce soit par le biais de l’article 3 de la LCM ou de l’article 118.3.3 de la LQE, le législateur québécois lance le signal que la réglementation municipale doit présenter un certain degré de cohérence avec les lois et règlements québécois.
Or, tant l’Union des municipalités du Québec (UMQ) que la Fédération québécoise des municipalités (FQM) souhaiteraient l’abrogation ou une modification de l’article 118.3.3 de la LQE, puisque, selon certains, cette disposition freinerait les municipalités dans leurs démarches visant à mettre en place de la réglementation environnementale plus sévère que ce que prévoit la réglementation provinciale. Une telle demande, si elle était acceptée, présenterait toutefois des difficultés.
Uniformité et fondements scientifiques de la réglementation
Il ne faut pas oublier les raisons pour lesquelles l’article 118.3.3 a été adopté, lesquelles demeurent en bonne partie d’actualité. Pour mieux comprendre ces raisons, un retour en arrière s’impose.
À ce sujet, rappelons que l’article 118.3.3 de la LQE été introduit en 2017 par la Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement afin de moderniser le régime d’autorisation environnementale et modifiant d’autres dispositions législatives notamment pour réformer la gouvernance du Fonds vert (Projet de loi 102 de 2017). Toutefois, cette disposition reprend essentiellement ce qui était auparavant prévu à l’article 124 de la LQE, et ce, depuis l’adoption initiale de cette loi en 1972. L’article 118.3.3 de la LQE n’est donc pas une nouveauté.
À ce sujet, on peut lire, dans les débats parlementaires de 1972 :
« le but de cette éventuelle loi [la LQE] est d’établir une uniformité à l’échelle de la province en ce qui concerne une foule de règlements qui, présentement, sont adoptés ou ne sont pas adoptés par les municipalités. Je ne voudrais pas manquer de respect envers les administrations municipales, mais je suis obligé de constater que l’absence d’une réglementation provinciale nous laisse sans uniformité et, dans bien des cas, sans règlement. Puisque cette absence met en danger l’environnement et la santé publique, dans certains cas, nous n’avons pas d’autre choix que de passer outre ce manque d’uniformité et l’établir d’autorité à l’échelle de la province et au niveau du gouvernement provincial. C’est un des buts primordiaux de ce projet de loi. »
Certes, les municipalités ont été beaucoup plus actives en matière de réglementation environnementale dans les dernières années et l’absence de réglementation ne constitue pas le même problème qu’en 1972.
Toutefois, l’objectif d’uniformité de la réglementation environnementale demeure pertinent et l’article 118.3.3 de la LQE constitue un outil essentiel. En effet, comme nous le mentionnions en introduction, le cadre juridique relatif à la protection de l’environnement au Québec est déjà très complexe. L’article 118.3.3 de la LQE permet d’atténuer cette complexité en empêchant les municipalités d’adopter des règlements qui portent sur le même objet que les règlements québécois en matière environnementale sans une approbation du Ministre.
Par ailleurs, nous rappelons que l’article 118.3.3 de la LQE permet tout de même aux municipalités aux prises avec des problématiques particulières d’adopter un règlement municipal différent de la réglementation provinciale, sous réserve de démontrer en quoi la réglementation provinciale n’est pas adaptée au contexte local. Comme le mentionnait le témoin du Ministre dans le cadre des débats parlementaires sur le Projet de loi 102 de 2017 (transcription intégrale) :
« Et c’est ça qui n’est pas nécessairement facile pour une municipalité à faire, parce qu’il faut quand même venir voir que les règlements provinciaux sont appuyés sur des bases scientifiques et ont fait l’objet de diverses études, et ainsi de suite. Et donc la municipalité doit avoir cette même rigueur de démonstration. Ça fait que donc c’est… Ça peut arriver, dans certains cas, que la norme peut être différente, des fois, à la baisse, mais parce’qu'il y a une particularité locale qui fait qu’ c'est acceptable. Donc, il y a toujours une analyse pour savoir si la norme est acceptable ou pas, qu'elle soit à la hausse ou à la baisse. »
Ainsi, en plus d’assurer une plus grande uniformité dans la réglementation environnementale, l’article 118.3.3 de la LQE assure que le cadre juridique environnemental qui régit les activités des citoyens et des entreprises sur l’ensemble du territoire québécois soit fondé sur des consensus scientifiques reconnus.
C’est donc avec raison que l’article 118.3.3 de la LQE continue d’être un outil couramment utilisé par le Ministre pour refuser que des municipalités adoptent des règlements qui portent sur le même objet que les règlements d’application de la LQE. En effet, selon les données présentées lors des débats parlementaires sur le Projet de loi 102 de 2017, entre les années 2000 et 2017, environ 50 demandes d’approbation d’un règlement municipal portant sur le même objet qu’un règlement d’application de la LQE auraient été soumises au Ministre, qui en aurait accepté 25 durant cette période, sur un total de 29 règlements municipaux approuvés entre 1972 et 2020[1]. Au surplus, toujours selon les débats parlementaires sur le Projet de loi 102 de 2017, il arrive souvent que, sans qu’une demande d’approbation du règlement municipal ne soit formulée au Ministre, des discussions entre ce dernier et la municipalité mènent à l’abandon du projet de règlement municipal.
Rappelons toutefois que la portée de l’article 118.3.3 a été restreinte dans les dernières années puisqu’il ne s’applique pas, dans une certaine mesure, à d’importants règlements d’application de la LQE tels que le Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement (REAFIE), le Règlement sur les activités dans des milieux humides, hydriques et sensibles (RAMHHS) et le Règlement concernant la mise en œuvre provisoire des modifications apportées par le chapitre 7 des lois de 2021 en matière de gestion des risques liés aux inondations (Règlement transitoire sur les inondations). Ainsi, dans la mesure prévue à ces règlements, les municipalités peuvent adopter des règlements qui portent sur le même objet que ces règlements provinciaux. Cela contribue au morcellement du cadre réglementaire en matière environnementale.
Un outil toujours utile et pertinent
En conséquence, avec égard pour les demandes du monde municipal, la portée de l’article 118.3.3 de la LQE a été suffisamment restreinte et il ne convient pas de le supprimer.
En effet, cette disposition assure une certaine uniformité du cadre réglementaire applicable aux entreprises œuvrant sur le territoire québécois. Dans le cas où une municipalité souhaiterait faire bande à part du reste de la province pour une question environnementale particulière, il demeure possible d’en faire la demande au Ministre, lequel validera alors le bien fondé sur le plan scientifique de la réglementation municipale proposée.
L’article 118.3.3 de la LQE constitue donc un outil flexible qui demeure utile et pertinent pour assurer la protection de la qualité de l’environnement à l’échelle de la province tout en canalisant les interventions municipales en la matière. À ce sujet, à titre de représentants des entreprises québécoises en matière d’environnement et de développement durable, le CPEQ a fait valoir auprès du Ministre la nécessité de maintenir l’article 118.3.3 de la LQE, afin d’assurer une plus grande uniformité dans la réglementation environnementale pour les entreprises.
[1] Voir : Camille Nadeau, « L’article 118.3.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement et les règlements municipaux encadrant la vidange des fosses septiques », développements récents en droit de l’environnement, Éditions Yvon Blais, volume 525 (2022), p. 237-275.
Me Hélène Lauzon, avocate et urbaniste | Me Olivier Dulude |
Présidente-directrice générale |
Directeur adjoint des affaires publiques et législatives |
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