Lorsqu’on parle du coût carbone, on pense instinctivement à la tarification carbone, qu’elle soit imposée au moyen du Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission (SPEDE), du Système de tarification fondé sur le rendement ou de la Redevance sur les combustibles. Ce coût carbone est celui assumé par les émetteurs de gaz à effet de serre (GES) pour se conformer à leurs obligations légales.
Or, la « tarification carbone » n’est pas le seul « coût carbone » à avoir fait son chemin dans le vocable des spécialistes en environnement. En effet, le « coût social du carbone » est un concept qui prend de plus en plus d’importance en matière de lutte contre les changements climatiques. Ce dernier est défini ainsi par Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) :
« Le coût social du carbone (CSC) est un terme utilisé pour décrire une estimation de la valeur monétaire au cours d’une année donnée des dommages qui se produiront à l’échelle planétaire pendant les décennies et les siècles à venir, à la suite de l’émission d’une tonne supplémentaire de CO2 dans l’atmosphère. Plus précisément, le CSC représente le dommage marginal causé par une tonne supplémentaire de CO2 émise dans l’atmosphère au cours d’une année donnée, exprimé en dollars et fondé sur une voie hypothétique des émissions mondiales de CO2. »[1]
En bref, le coût social du carbone représente le coût global des dommages causés par l’émission de chaque tonne supplémentaire de GES dans l’atmosphère.
Les études d’impact de la réglementation
Comme l’exige la Directive du cabinet sur la réglementation, tout projet de règlement doit comprendre une étude d’impact sur la réglementation. Cette dernière comprend une analyse des impacts positifs et négatifs anticipés de la réglementation proposée.
C’est dans ce contexte qu’intervient le coût social du carbone.
En effet, ce dernier est comparé aux avantages et aux inconvénients anticipés de la réduction ou de l’augmentation des émissions de GES entraînés par le projet de règlement du gouvernement à l’étude. Par exemple, si un projet de règlement visant la réduction des émissions de GES entraîne des coûts moins élevés par tonne réduite de GES que la valeur du coût social du carbone, alors le règlement proposé est a priori avantageux sur le plan économique.
Ainsi, il va sans dire que le coût social du carbone constitue désormais un outil d’aide à la décision important pour le gouvernement.
Établir le coût carbone
Pour que le coût social du carbone puisse jouer adéquatement son rôle, sa valeur doit être établie selon une méthodologie rigoureuse.
À ce sujet, la méthodologie canadienne est fondée sur une étude réalisée en 2011[2], qui est elle-même fondée sur des travaux réalisés auparavant aux États-Unis[3]. Puis, en 2016, ECCC a publié une Mise à jour technique des estimations du coût social des gaz à effet de serre. Selon ce document, le coût social du carbone est déterminé en trois étapes :
- Détermination des impacts hypothétiques des émissions mondiales de GES sur l’évolution du climat;
- Détermination des conséquences physiques liées aux modifications du climat causées par les GES, telles que les dommages accrus causés aux infrastructures et aux personnes par les événements climatiques extrêmes;
- Attribution d’une valeur économique à ces conséquences physiques et création d’une valeur par tonne d’éq CO2 émise.
Sur la base de ces trois étapes, le document propose un coût carbone de 41$/tonne en 2016 et de 50$/tonne en 2020[4].
Or, une étude récente suggère que le coût social du carbone est sous-évalué. C’est pourquoi, dans l’annexe sur la tarification de la pollution par le carbone du Plan climatique renforcé[5] fédéral, le gouvernement s’engage à réviser ce coût.
Le projet de Règlement sur les combustibles propres
Bien que la révision du coût social du carbone ne soit pas encore complétée, le gouvernement fédéral semble déjà délaisser le coût social du carbone établi dans la mise à jour de 2016, en faveur d’une valeur passablement plus élevée.
En effet, dans le cadre de l’analyse des coûts et des avantages du projet de Règlement sur les combustibles propres (PRCP), ECCC utilise un coût social du carbone non pas de 50$/tonne, mais de 135$ à 440$/tonne d’éq CO2. Ce coût est ensuite comparé au coût anticipé des mesures prescrites par le PRCP, qui se situerait entre 64$ et 128$/tonne, avec une estimation centrale de 94$/tonne d’éq CO2.
Ainsi, les coûts du PRCP sont supérieurs au coût social du carbone de 2016, fixé à 50$/tonne. Le coût du PRCP est toutefois inférieur au coût social du carbone en cours de révision, qui est actuellement estimé à entre 135$/tonne et 440$/tonne. À la lumière de ce coût social du carbone révisé, ECCC conclut donc que les avantages du PRCP l’emportent sur ses coûts.
Dans le cadre de ses commentaires concernant le PRCP, disponibles sur le portail membre de notre site internet, le CPEQ a abordé la question du coût social du carbone.
En effet, compte tenu de l’importance du coût social du carbone à titre d’outil d’aide à la décision, ainsi que de la drastique augmentation de l’évaluation de ce coût entre 2016 et 2021, nous avons signifié à ECCC la pertinence de rendre publique la méthodologie utilisée.
Dans le cadre de nos commentaires, nous avons également rappelé que le coût social du carbone ne constitue qu’un élément parmi d’autres dans l’analyse des coûts et avantages de la réglementation. En effet, les trois dimensions du développement durable, soit la dimension environnementale, économique et sociale, doivent toutes être prises en compte dans le cadre des décisions en matière environnementale.
Réflexions sur les coûts du carbone
Le coût social du carbone constitue indéniablement un outil intéressant pour quantifier les avantages et les inconvénients associés à la réglementation portant sur les GES. Comme nous l’avons mentionné dans nos commentaires sur le PRCP, il ne s’agit toutefois que d’un aspect à prendre en compte parmi d’autres.
Le coût de la tarification carbone offre un bon exemple. En effet, le Plan climatique renforcé fédéral prévoit que le coût de la tarification carbone atteindra 170$/tonne en 2030. En vertu de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre ce coût est fixé, en 2021, à 40$/tonne. En 2018, ce coût était de 10$/tonne.
Ainsi, en 2018, le coût de la tarification carbone était environ quatre fois inférieur au coût social du carbone de 41$/tonne fixé pour l’année 2016. En 2021, le coût de la tarification carbone est environ trois à onze fois inférieur au coût social du carbone révisé. C’est donc dire que le coût actuel de la tarification carbone est inférieur au coût social du carbone. Même à 170$/tonne, le coût prévu de la tarification carbone se situe dans la portion inférieure de la fourchette d’estimation du coût social du carbone.
Ainsi, même si la tarification carbone vise à mettre un prix sur l’émission de GES, elle ne vise pas nécessairement à forcer les entreprises à internaliser entièrement les dommages causés par l’émission des GES. Si tel était le cas, le coût de la tarification carbone serait le même que le coût social du carbone.
Ce constat est cohérent avec l’objectif fondamental de la tarification carbone qui consiste à créer un incitatif économique à la réduction des émissions de GES et non à forcer l’internalisation, par les entreprises, des externalités négatives causées par les émissions de GES. En outre, d’autres facteurs entrent en ligne de compte pour fixer un prix sur le carbone, tels que la compétitivité des entreprises et l’augmentation du coût de la vie. Le coût de la tarification carbone suit donc une logique distincte du coût social du carbone, ce qui justifie que le premier soit inférieur au second.
Cela dit, dans un contexte autre que la tarification carbone, le coût social du carbone pourrait être de plus en plus utilisé pour justifier l’imposition de normes réglementaires comprenant des mesures de réduction de GES à un coût par tonne de GES réduite de loin supérieur au coût de la tarification carbone. À ce sujet, le PRCP en constitue un bon exemple.
En conséquence, afin d’anticiper les impacts financiers de la réglementation à venir, les entreprises devront, en plus de surveiller l’évolution de la tarification carbone, être attentives aux travaux entourant la révision de cet autre coût carbone qu’est le coût social du carbone.
Me Hélène Lauzon, avocate et urbaniste | Me Olivier Dulude |
Présidente-directrice générale |
Directeur adjoint des affaires publiques et législatives |
[1] ECCC, Mise à jour technique des estimations du coût social des gaz à effet de serre (2016).
[2] Selecting a value for CO2 emissions in government of Canada regulatory impact analyses statements. Ce document ne semble pas disponible en ligne.
[3] Voir la version mise à jour de ces travaux : Interagency Working Group on Social Cost of Greenhouse Gases, Technical Support Document : Social Cost of Carbon, Methane, and Nitrous Oxide (2021).
[4] Voir également l’analyse des coûts et avantages du projet de Règlement sur les combustibles propres.
[5] Voir les pages 2 et 3 de l’annexe sur la tarification carbone du Plan climatique renforcé.
________________________________________________________________________________________
Vous êtes une entreprise intéressée par les questions d’environnement et de développement durable? Découvrez les bénéfices de l’adhésion au CPEQ, ainsi que notre programmation événementielle à venir et en différé.